Le clitoris sur toutes les lèvres
Depuis le 22 juin, le documentaire "Mon nom est clitoris", est diffusé dans les salles de cinéma. Rencontre avec les deux réalisatrices Daphné Leblond et Lisa Billuart Monet qui militent pour la libération de la parole autour de la sexualité féminine.
Comment avez-vous eu l’idée de « Mon nom est clitoris » ?
Quand on a voulu parler de nos propres problèmes sexuels, on s’est rendu compte qu’il y a plein de choses qui fonctionnent terriblement mal aujourd’hui : on n’a pas accès à toutes les informations et il reste encore des tabous sur la masturbation. Le clitoris est un sujet dont on ne parle jamais ou en tout cas, ce n’est pas un sujet comme un autre. On s’est dit qu’on allait faire ce film qu’on n’a jamais vu mais qu’on aurait aimé voir adolescentes pour que ça devienne un sujet banal de conversation.
Pourquoi y a-t-il aujourd’hui une méconnaissance sur le clitoris ?
Dans le documentaire, on a montré des livres de SVT où le clitoris n’est pas représenté alors que le pénis l’est. Ça marque la différence entre les savoirs qu’on a sur la sexualité féminine et masculine. Chez la femme, c’est comme si l’organe n’existait pas. Il y a une espèce de prétexte qui consiste à dire que tout le monde sait à quoi ressemble le pénis parce qu’il est extérieur et qu’on ne sait pas à quoi ressemble le clitoris parce qu’il est interne. Pourtant, on sait à quoi ressemblent les poumons ou l’estomac… Si on connait moins le clitoris, c’est parce qu’il a été délibérément mis de côté. Il a disparu des livres.
Comment parler plus librement de ce sujet ?
Aller voir notre film, c’est une bonne étape ! Je ne rigole qu’à moitié parce que beaucoup de gens en sortant du film ont des grandes conversations. Parfois, c’est même la première fois qu’ils abordent leur propre sexualité. Voir des gens qui parlent de ça comme si c’était un sujet normal et banal, ça aide à avoir le courage et la légitimité d’en parler à son tour. Personnellement, avant, dire le mot « clitoris » était difficile. Désormais, à force de le dire, ça devient juste le nom d’un organe. Après tout, c’est ce que c’est.
Faire parler des jeunes filles sur leur sexualité face caméra, ça a été difficile ?
Au départ, on pensait que ce serait compliqué. C’est pourquoi on a commencé par interroger des personnes proches de nous. On a été surprises par le nombre de oui ! Pour chaque témoignage, on a pris le temps, au moins deux heures à chaque fois. On faisait l’interview dans leur chambre, pour qu’elles se sentent à l’aise et on se mettait nous-même dans le cadre pour éviter de créer une distance et montrer qu’on est toutes dans le même bain. Ensuite, c’était plus une conversation qu’une interview pure et dure. Ça aide à libérer la parole d’échanger, de comparer nos expériences. Il y avait bien sûr une petite gêne qu’on voit bien dans le documentaire d’ailleurs.
Quels sont les retours sur votre documentaire ?
Nous avons reçu un accueil très bienveillant en Belgique. On rencontre surtout de la résistance dans les commentaires sur les réseaux sociaux et les articles de presse. On nous reproche de l’impudeur et d’être exhibitionniste. C’est drôle parce que le film ne montre absolument aucune nudité et la manière de filmer est plutôt sobre. Il y a aussi le refus de l’éducation sexuelle et du fait de parler de plaisir à l’école. Pour eux, c’est aux parents de faire ça. Nous, on aimerait qu’on parle de l’inégalité des plaisirs à l’école. L’école est là pour former des citoyens égaux et respectueux des autres. Il faut donc avoir conscience des formes de domination exercée sur les autres et l’inégalité des plaisirs en fait partie.
Est-ce qu’un film peut faire changer les mentalités ?
Ce n’est pas le rôle des cinéastes de changer le monde mais celui des politiques de faire en sorte que ça se passe mieux. Grâce au film, nous sommes allées au Parlement francophone bruxellois pendant une commission plénière sur la santé sexuelle. C’est une première étape pour faire changer les lois. En France, on espère pouvoir aller jusque-là. Nous venons de lancer une pétition pour que la loi de 2001 soit appliquée. Cette dernière prévoit 3 cours d’éducation sexuelle par an obligatoires à l’école, ce qu’aucun établissement ne fait pour le moment.