Misterfox : "Le doublage est né du besoin de communiquer."

Misterfox : "Le doublage est né du besoin de communiquer."

"Le chevalier servant de la VF", Hugo Amizet (alias Misterfox sur YouTube) décrypte à travers ses vidéos le doublage au cinéma. L'occasion de revenir avec lui sur les origines du doublage et le rapport entre VF et communication. (La version longue 👇 à l'écrit et la version courte ☝️ en vidéo)

Comment le doublage est-il né ?

Il est apparu dans les années 1940, au moment où on avait besoin de communiquer clairement. On assistait à un nouvel âge d’or du fictionnel avec l’apparition du cinéma parlant. Au départ, les studios américains qui étaient déjà hégémoniques dans la culture du cinéma tournaient des versions multiples : pour une version française, ils tournaient les mêmes scènes, avec les mêmes décors mais avec des acteurs francophones. Puis on a vu petit à petit un système de dubbing (doublage, ndlr) se mettre en place. Dans le film « Chantons sous la pluie », une des comédiennes avait une voix insupportable au point qu’on l’a fait parler et chanter avec la voix d’une autre comédienne. Les productions se sont rendues compte que c’était une pratique plus économique et le doublage s’est imposé jusqu’à aujourd’hui.

Pourquoi propose-t-on encore en France des versions françaises ?

C’est sans doute en partie par habitude mais aussi tout simplement parce que ce n’est pas du tout la même manière de regarder un film. Personnellement, je regarde autant de productions en VO qu’en VF. Avec les versions françaises, j’ai plus le temps de regarder l’image et de suivre l’intrigue, notamment lorsqu’il s’agit de films policiers avec des relations familiales et mafieuses bien compliquées. La VF aide à comprendre l’histoire et à s’immerger plus facilement dans l’univers du film.

J’ai l’impression qu’il y a pas mal de gens sur les réseaux sociaux, de par leurs habitudes de consommation et leur entourage, qui sont persuadé qu’aujourd’hui plus personne ne regarde de VF. Pour eux, c’est une pratique marginale pour les imbéciles, les moutons qui regardent la TV. Pourtant, d’après Netflix, près de 70 % des abonnés français ont regardé la dernière saison de Stranger Things en VF.

Que reprochent les anti-VF au doublage ?

Ils prennent comme arguments que les voix et les textes sont différents, que les adaptations sont parfois ratées. C’est pour ça que je fais des émissions sur le sujet : il faut remettre les choses en perspectives. Il y a des choses comme les gags qui ne sont tout simplement pas adaptables. Ils font aussi parfois toute une montagne sur des problèmes qui ne sont pas insurmontables comme le fait qu’en VF on ne peut pas savoir qu’un personnage parle français dans la version originale. Pourtant, faire parler le personnage en allemand ou en espagnol à la place ne changera pas diamétralement l’univers du film quand il s’agit d’avoir un étranger dans un univers anglophone. J’ai l’impression que les anti-VF le sont parce qu’ils ont été marqués par deux ou trois mauvaises adaptations qui sont devenues leur porte-étendard.

Est-ce qu’on peut doubler toutes les productions audiovisuelles ?

Oui. Même si évidemment il y aura toujours des contre-exemples avec des films très polyglottes qui jouent sur les différentes langues. Pour ce genre d’œuvres, on parle souvent d’ « Inglourious Basterds » de Quentin Tarantino mais aussi des films qui mettent en scène des interprètes comme « Rencontre du 3e type ». C’est vrai que qu’il est difficile de faire une version française quand on sait que l’acteur qui parle en anglais est ensuite traduit par l’interprète en français. Encore une fois, j’ai l’impression que les anti-VF se servent énormément de ces œuvres particulières comme un prétexte pour remettre en question l’existence du doublage.

Qui sont les adaptateurs au cinéma ?

Les adaptateurs, ce sont des gens à l’aise avec la traduction, avec l’écriture. C’est un vrai métier qui consiste à comprendre ce qu’ont voulu transmettre le réalisateur, les créateurs, l’acteur et essayer de retranscrire cette idée dans une autre langue. S’il y a des gags, il faut rappeler ces gags. Il faut aussi respecter ce qu’on appelle les labiales, c’est-à-dire le mouvement des lèvres du comédien. C’est une gymnastique pas évidente mais qui s’apprend. Dans les années 1970-80, les adaptateurs étaient seuls avec le scripte. Désormais ils peuvent s’informer sur Internet, regarder aussi des analyses de l’œuvre, s’inspirer des versions déjà retranscrites dans d’autres pays ou encore se renseigner auprès d’un collègue qui vit sur place. Tout ça permet de travailler plus proche que jamais de la version originale.

L’arrivée de Netflix a-t-elle eu un impact sur le doublage ?

L’arrivée d’un nouvel acteur apporte toujours tout un tas de bouleversements. Netflix a ramené logiquement pas mal de travail mais la plateforme est assez pénible concernant les tarifs et essaie de niveler les rémunérations vers le bas. Ils ont même proposé aux téléspectateurs de s’occuper eux-mêmes des sous-titres. L’annonce est bien sûr très mal passée puisque cela revenait à uberiser le sous-titrage. Selon le budget alloué au doublage, la mission se retrouve dans des grands studios parisiens mais aussi en Belgique, au Luxembourg ou encore au Maghreb. Il est déjà arrivé qu’un film face un bad buzz à cause d’un mauvais doublage réalisé là-bas, comme « Dumbells ».

Est-ce que le doublage peut aussi être un élément de communication ?

Oui, notamment dans le cinéma d’animation où l’on parle de Start Talent, des célébrités que l’on embauche pour un rôle mineur ou majeur. Dans les années 2000, on le faisait surtout pour passer sur les plateaux TV. Aujourd’hui, ça passe essentiellement sur les réseaux sociaux. Désormais, que choix de la célébrité soit pertinent ou non, on va en parler sur Internet. Ca va même plus faire parler du film si le Star Talent est un footballeur, une célébrité de la TV ou un chanteur. Par exemple, au moment de la sortie de « Spiderman New Génération », le doublage par Girou et Kimpembe même pour quelques secondes dans le film a enflammé la toile : « c’est n’importe quoi, n’importe qui peut faire ce boulot… » J’ai l’impression qu’il y a un calcul un peu cynique des studios qui estiment qu’en prenant une personnalité qui n’a rien à voir avec l’univers du film, ça fera parler de la production. Même si c’est un bad buzz.

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