Moha La Squale : elles dénoncent le rappeur dans les rues de Paris
Nous avons suivi 15 membres du mouvement Collages Feminicides Paris à Ménilmontant pour une opération spéciale : coller des affiches sur les murs du quartier du rappeur Moha La Squale afin de dénoncer ses actes présumés. Ce dernier est accusé par 5 jeunes filles et fait l'objet d'une enquête ouverte pour violences, agressions sexuelles et séquestrations.
Dimanche matin, Boulevard Ménilmontant. A quelques pas de la bouche du métro, une quinzaine de jeunes filles se préparent à une expédition. Baskets, sacs à dos, tenues plutôt décontractées, elles checkent la liste du matériel dont elles vont avoir besoin. On dirait une équipe de scoots et pourtant… « Bouteilles d’eau ? J’ai ! Affiches ? J’ai ! Colle ? J’ai ! » Rien à voir avec une randonnée dominicale. Le groupe appartient au mouvement Collages Féminicides et s’est réuni pour une mission bien particulière : « Nous allons coller des affiches pour dénoncer les actes du rappeur Moha La Squale dans son quartier, là où il a grandi, où il y a sa famille et ses amis et où il tourne encore ses clips », explique Camille, à l’initiative de cette sortie. Le chanteur est accusé depuis le début du mois de septembre par 5 jeunes femmes de violences, agressions sexuelles et séquestrations. Le parquet de Paris a ouvert une enquête suite à ses accusations. Le rappeur n’a quant à lui pas réagi publiquement.
Le mouvement Collages Féminicides a vu le jour il y a un peu plus d’un an pour dénoncer les nombreux meurtres de femmes, généralement suite à des violences conjugales. Désormais, le collectif s’est approprié les combats des femmes et des minorités de genres : féminicides, violences sexistes, sexuelles, lgbtophobes et tous types de discrimination. Le mode opératoire ? Coller des slogans forts sur les murs pour se faire entendre. « On s’est dit qu’il fallait quelque chose qui reste et qui attire l’œil. On avait besoin que ce soit des mots, qu’on peut relire, qui sont impactants, qui sont gros et lisibles par tous. On s’est dit qu’il n’y a rien de mieux que d’aller coller directement dans la rue comme les street artists peuvent faire avec le tag », explique Astrid, un membre du collectif que nous avons rencontré quelques jours plus tôt. Le mouvement compte aujourd’hui près de 10 000 personnes dont 3 000 dans la région parisienne.
Coller pour se réapproprier la rue
Tout d’un coup, le groupe s’active. Tandis que les uns mettent doucement de l’eau dans des bacs, les autres remuent avec énergie. Bientôt, plusieurs sceaux sont pleins de colle acrylique prête à l’emploi. Avant de partir, Camille s’assure que tout le monde a bien compris les enjeux et rappellent les règles au groupe. « Nous risquons de rencontrer des personnes qui soutiennent Moha La Squale. Si jamais vous vous sentez mal à l’aise, si vous n’êtes pas en accord avec les phrases qu’on va afficher, manifestez-vous. » Rappelons que le collage est interdit dans l’espace public. « Généralement, les policiers sont tolérants car ils comprennent notre action. Mais pas tous. Parfois, certains nous demandent de décoller nos affiches. C’est extrêmement humiliant », s’insurge Astrid.
Comme personne ne se désiste, le groupe se met en route, direction Rue Duris. L’ambiance bon enfant a laissé la place au silence et aux visages fermés, déterminés. Très vite, les prédictions de Camille se révèlent justes : alors que les jeunes femmes marchent sur la route, une voiture klaxonne puis fonce dans le groupe qui se disperse rapidement. Il en faut plus pour leur faire abandonner la mission. Pour sa première expédition, Marielle n’a pas peur. Au contraire, cette sortie lui donne de la force. « J’ai le sentiment que la rue appartient aux hommes et qu’ils sont dans l’impunité la plus totale quand ils nous sifflent dehors. Mais grâce à ces messages qui sont très forts au mur, j’ai l’impression que les femmes se réapproprient l’espace urbain. »
Débats sur la présomption d’innocence
Le groupe est bien organisé. En chuchotant et en montrant du doigt, elles choisissent les murs sur lesquels coller et se répartissent en petits groupes. L’une encolle le mur, une autre pose les feuilles de papier, une autre repasse de la colle et une dernière lisse le tout. En une demi-heure, une quinzaine de slogans sont placardés sur les murs : « #balancetonrappeur », « Luna, Ana, Andrea, on vous croit » ou encore « Célébrité = impunité ». Des accroches choisies et préparées en amont par la communauté.
Sur leur passage, certains piétons s’arrêtent pour lire les messages, les voitures ralentissent par curiosité. Un jeune homme s’arrête pour montrer son désaccord : « Vous condamnez quelqu’un qui n’a pas encore été jugé. Ce n’est pas à vous de faire son procès. Qu’est-ce que vous faites de la présomption d’innocence ? ». Rappelons qu’en France, toute personne qui se voit reprochée une infraction est réputée innocente tant que sa culpabilité n’a pas été légalement démontrée. Par souci d’objectivité, le passant ne se montre ainsi ni pour ni contre le chanteur. Il estime cependant que les colleuses devraient attendre le procès avant de s’exprimer de manière aussi catégorique. « D’habitude les gens sont bienveillants. Ils nous encouragent. Aujourd’hui, c’est un peu particulier : il faut faire attention », prévient l’une des membres du collectif qui fait le guet pendant que les autres s’activent autour des murs.
« Si les affiches sont arrachées, ça veut dire qu’on dérange »
Une fois le travail terminé, il est temps de rebrousser chemin pour voir si les affiches sont encore là. A leur grand désarroi, il ne reste plus rien. Une dame d’une quarantaine d’années approche avec des feuilles en boule dans les mains. « Je suis désolée les filles, je soutiens votre cause mais je ne peux pas accepter que vous colliez ces papiers sur les immeubles. » Elle explique qu’elle est la gardienne. Un des résidents l’a appelé pour la prévenir. Malgré le fait que ce soit son jour de repos, elle est venue immédiatement retirer les papiers avant que la colle ne soit sèche. « Si je laisse faire, je risque ma place. Et si j’attends demain, je vais mettre des heures à gratter. »
Camille en a gros sur le cœur. « Tout ça pour ça », soupire-t-elle, des sanglots bloqués dans la gorge. Grâce au soutien de ses acolytes, elle reprend vite courage : « Si les gens ont arraché aussi vite nos messages, ça veut dire qu’on a marqué les esprits. On va y retourner ! » En attendant, les membres du collectif sont assez fiers de leur travail. Le temps d’une cigarette, les discussions sont devenues plus légères. Elles se donnent rendez-vous pour une prochaine fois sur une plateforme en ligne avant de se séparer.