Les oubliés de la com' : les psychologues en EHPAD
Pendant la phase de confinement à cause du Covid-19, HUSH lance la websérie confinée « les oubliés de la com’ ». Nous allons à la rencontre de professionnels et de profils qui font peu ou pas l’actualité pour comprendre leur nouveau quotidien et le rôle accru de la communication dans leur métier. Zoom sur les psychologues avec Aude Cesa, intervenante dans un EHPAD.
Avec le confinement, ton quotidien en tant que psy a-t-il changé ?
Énormément ! Le département de la Loire pour lequel je travaille étant passé au service minimum, je n’interviens plus auprès des assistantes sociales comme avant. Je continue seulement mes activités en tant que libérale auprès de patients que je suis régulièrement mais en visioconférence, ce dont ils ne sont pas friands. Je suis aussi salariée dans un EHPAD où mes missions ont augmenté pendant la crise.
Comment ça se fait que tu aies le droit de rentrer dans les EHPAD ?
Parce que je suis salariée de la structure. Chaque EHPAD a mis en place sa propre politique. Certains ont fermé leurs portes au personnel paramédical (donc aux psychologues) et d’autres ont gardé les psychologues en soutien. Les vacataires ne sont plus admis. Avant, je travaillais en civil avec un badge pour qu’on m’identifie. Désormais, je dois enfiler une tenue spécifique avec des chaussures qui restent là-bas, une charlotte sur la tête, un masque etc. Après avoir enfilé ma belle tenue de combat, on prend ma température. Je fais le schéma inverse pour sortir. On est surveillés de près pour s’assurer qu’on ne développe aucun symptôme.
Comment les résidents vivent-ils cette situation ?
C’est très compliqué pour eux car on leur a d'abord interdit les visites de la famille puis imposé un confinement en chambre car nous avons des malades atteints par le Covid-19. Les temps collectifs sont supprimés pour leur sécurité. Tout cela augmente le sentiment de solitude pouvant majorer les angoisses et entraîner un syndrome de glissement, soit des personnes qui se replient et se laissent dépérir.
Désormais, toute personne qui rentre dans la chambre des résidents est pour ces derniers une bouffée d’air frais. L’avantage est que je viens pour papoter, ils me voient comme une compagnie et ça vaut de l’or ! Il y a par exemple un papy qui a fermé la porte à clé à mon arrivée pour me garder plus longtemps ou encore une mamie qui m’a servi l’apéro pour me faire rester un peu plus. C’est sympa d’être avec eux.
Et les familles ?
C’est évidemment très anxiogène pour elles de savoir que leur proche est en résidence, qu’elles ne peuvent pas le voir et qu’il est peut-être atteint par le virus. C’est pourquoi nous avons mis en place des entretiens Skype. C’est normé car il faut prendre rendez-vous pour bien organiser. On fait en sorte d'en faire toutes les semaines ou semaines et demi. Pour les appels classiques, ils disposent d’un téléphone en chambre et les aides-soignants peuvent les aider. On a aussi mis en place un système de communication par mail pour donner des nouvelles, expliquer comment ça se passe et répondre aux questions.
Et le personnel soignant ?
On est là aussi pour les soutenir car ils vivent une situation compliquée avec peu de matériel. Les angoisses vont bon train. Ils ont beaucoup de questions : est-ce que je vais contaminer les résidents ? Est-ce que je peux ramener le virus à la maison ? Comment être en paix au travail et dans ma cellule familiale ?
Tu as peur, toi ?
J’ai déjà été en contact avec des personnes contaminées. Alors je suis peut-être un porteur sain ? Ce qui m’angoisse le plus, c’est de contaminer les résidents car la plupart n’ont pas une super forme et ça pourrait leur être fatal. En ce qui concerne mes proches, je ne limite pas les embrassades avec mon conjoint mais je fais attention avec mes affaires : j’ai pris l’habitude de me déshabiller à l’extérieur et d’y laisser les objets qui servent en dehors, je fais chauffer mes vêtements à plus de 60° et je me lave les mains et les avant-bras régulièrement pour transporter le moins possible le virus.
Selon toi, quel est le rôle des psychologues dans cette crise ?
L’implication des psychologues sur cette crise est minime car le gouvernement ne s’est pas posé clairement la question en ce qui nous concerne. Dans les hôpitaux, les psychologues sont encore en service mais dans tous les espaces institutionnels, ceux qui ne sont pas salariés ne peuvent plus travailler. Pourquoi ? Parce que les psychologues ont rarement un seul lieu d’intervention. Plus ils fréquentent de gens et plus ils peuvent transporter le virus.
Pourtant, on sait qu’on peut risquer beaucoup de dépressions, des burn-out et pour certains du stress post-traumatique. L’intervention précoce est à privilégier. Mais nous ne pouvons pas intervenir sans équipement sanitaire. Ce serait nous mettre nous et nos proches en danger. On marche un peu sur des œufs. La préoccupation médicale est prioritaire, les soins psychiques viendront malheureusement dans un second temps.
En attendant, des initiatives sont-elles mises en place ?
On s’organise en réseaux solidaires que l’on voit apparaître sur les réseaux sociaux. Je fais par exemple partie depuis une semaine de « Psychologie solidaire ». Les psychologues s’y inscrivent pour proposer des appels gratuits de soutien aux soignants. J’ai reçu une dizaine d’appels. Pour le moment, leurs premières préoccupations ne les concernent pas directement. Ils appellent plutôt pour vider leur sac : ils se sentent désemparés, ils reviennent particulièrement sur le manque de moyens, le surnombre, la détresse des gens. Ils posent beaucoup de questions pour s’assurer que les soins se passent au mieux pour les autres.